Du “Generalife” à “Djanatu al Arif” ou… l’Andalousie retrouvée
Il n’y a pas, de nos jours, une contrée dans le monde arabe, ou un lieu quel-qu’il soit, restaurant, hôtel, café, bains, jardin et même piscine qui ne porte pas un nom en rapport avec «Al-Andalous.» Au Maghreb, plus que partout ailleurs, le mythe d’Al-Andalous fait, indéniablement, encore rêver. Peut être à cause du souvenir d’une époque heureuse de la culture arabo-musulmane, ou peut être parce qu’elle est le symbole d’une splendeur perdue, mais dont on garde jalousement le souvenir. Le nom même incarne à ce jour le paradis perdu. Concept que nous devons au prince druze libanais Chakib Arslan qui sera le premier à évoquer «Al Firdaws Al-Mafqoud».
Source : Oranais
Du “Firdaws al Mafqud” au “Firdaws al Maw’ud”
Par la grâce de la Fondation Méditerranéenne du Développement Durable, la ville de Mostaganem a, aujourd’hui, sa part d’Andalousie, puisque le siège et le nom que porte cette fondation est celui que le poète Zamark a nommé le «trône de Grenade» Janatou al Arif, à la beauté proverbiale et qui, latinisé, sera plus connu sous l’appellation du “Généralife”.
Le choix de donner un nom aussi lourd à cette fondation et à son jardin n’est pas sans signifier, l’importance de la nature dans la pensée soufie et notamment dans la confrérie alaoui.
Le guide spirituel et fondateur de cette confrérie, le cheikh Al-Alawi, disait «…Il faut étendre la fraternité humaine aux animaux et aux plantes…» Tout un programme, si l’on peut dire.
La démarche du cheikh Khaled Bentounes, guide spirituel et Président–Fondateur de la Fondation “Djanatu al -Arif s’inscrit dans une vision novatrice, au vu des temps qui courent et surtout des dangers qui guettent l’Islam.
Il s’agit pour cette fondation d’inscrire, à travers le développement durable, l’écologisme comme une part consistante de la croyance.
Djanatu al-Arif serait donc cet espace jardiné ou devrait «s’exprimer» toute la Théologie Islamique de la Nature tant du point de vu scientifique que philosophique. C’est aussi dire l’urgence de nous réconcilier avec nos racines culturelles pour qu’un jour, peut être, «Al firdaws al-Mafqud», ce paradis perdu devienne, ce que Hussein Mones, professeur d’histoire de l’Islam au Caire et ancien directeur de l’Institut égyptien à Madrid, a appelé «Al-Andalous al-maw’ud.» (L’Andalousie retrouvée.)
L’Islam des jardins
“Djanane al Arif” fut sans aucun doute à cette époque, la représentation la plus réussie de ce «jardin merveilleux, dont tout musulman porte en lui la nostalgie», au dires de l’islamologue George Marçais.
Dans la civilisation musulmane, l’art du jardin n’aspire qu’à être l’image-miroir du paradis dont le Saint Coran décrit toutes les caractéristiques. C’est probablement cela qui explique que la genèse du jardin, dans l’art islamique, est très étroitement lié à la grandeur de Dieu.
Djnatu al-Arif à Mostaganem a bien cherché, dans sa conception, à être ce paradis terrestre que rois, princes, mécènes, mystiques et humbles paysans ont cherché à reproduire aux cours des siècles, jusqu’à ce que l’acculturation occidentale vienne dénaturer leur conscience du jardin et la remplacer par la notion ….d’espace vert.
Cette recherche du jardin idéal donna naissance au “paysagisme” et permettra “d’artialisée” (excusez le jeu de mot) Bilad al-Andalous que presque tous les visiteurs célèbres ou anonymes ont eut bien du mal à décrire par la suite. Car, nous disent-ils, les mots ne suffisent pas à rendre compte de toute la beauté et la richesse de ces contrées.
L’école d’agronomie de l’Andalousie produira une riche littérature tirée de la pratique et de l’expérimentation sur le travail de la terre, en général, et le jardin en particulier.
Le concept du «jardin royal» verra le jour à Cordoue, au 8eme siècle, sous l’impulsion du sultan Omeyyade Abd ar-Rahman Ier.
Au 10eme siècle, Ibn-Bassâl, jardinier d’Al Ma’mûn, consigne ses expériences et son savoir faire dans son traité «Livre du but et de la démonstration.»
Nombreux seront les agronomes de cette école, à l’instar d’Ibn Al Awwam et son célèbre “Kitab al Filaha” qui deviendra, à partir du 18ème siècle, le livre de référence de l’agriculture européenne.
René Louis Girardin, concluait l’introduction de son célèbre traité consacré au paysage et publié en 1777 par cette superbe phrase «Ce n’est ni en architecte, ni en jardinier, c’est en poète et en peintre qu’il faut composer des paysages, afin d’intéresser tout à la fois l’œil et l’esprit.»
Et c’’est là, un précepte que les poètes andalous pratiquaient avec un art consommé. Ibn Luyûn, poète grenadin se rendit célèbre par un poème ou il indiquait la disposition des choses du jardin. «On installera pour les heures de repos un kiosque qui s’ouvrira sur tous les côtés… »
Dans le cadre féerique de Djanatu al-Arif, le kiosque ouvert, à tout vent, domine et embrasse d’un coup d’œil l’ensemble du jardin. De l’autre coté de l’allée, un peu à l’écart, le paysagiste a prévu un “kola” nommé Dar As Salam (le lieu de paix) à la mode de Tombouctou, cette autre capitale mythique du soufisme.
Dans le cadre verdoyant du jardin, son architecture en pisé, aussi épurée soit elle, ne parait plus aussi austère que cela, d’ailleurs rien ne dit que l’ascétisme a besoin de l’âpreté du désert.
Un peu plus loin, un autre clin d’œil aux cultures du monde, un jardin zen, tout en minéraux est là pour nous dire que dans cette Djanatu al-Arif «le vivre ensemble» n’est pas un vain mot.
Les chemins de sciences et de lumières
Si les jardins de l’Andalousie furent fermés par de hauts murs, c’est parce que, le jardin musulman ne cherche pas à provoquer la curiosité, il tend même à l’éviter. Il n’aspire pas à être vu, mais plutôt à être «savouré» selon le bon mot de Csilla Pordany-Horvath, car il est un espace vécu et un lieu de sociabilité. Il n’a d’ailleurs que faire de cet extérieur, puisque concrètement ou symboliquement il contient, en lui, différents lieux.
«L’ambition du jardin est de représenter dans son cadre propre et par ses ressources propres la totalité des richesses naturelles et culturelles du monde», écrivait John Dixon Hunt.
En plantant, dans le “Généralife”, les végétaux que les Conquistadores ont rapporté des Amériques, les jardiniers de l’époque n’ont fait que marché, comme le dit si bien Hussein Nones, sur “les chemins de la science et de la lumière tracés par leurs prédécesseurs”.
A Djanatu Al-Arif, on cultive cet ailleurs autant que les incompatibilités. C’est ainsi que le bougainvillier d’Amérique côtoie le dragonnier des Canaries. Le frugal arganier du Sahara voisine avec le moringa des Indes.
Cette concentration lui apporte la luxuriance paradisiaque et va de pair avec un mouvement de réduction des éléments constitutifs du paysage, rivière, prairie et montagne.
A Djanatu al-Arif ces éléments miniaturisés sont bien entendu présents. L’Étang et sa montagne, d’où tombe l’eau en cascade. Le grand bassin central qui murmure et la fontaine qui borde la grande allée sont là pour nous dire que l’eau est «matière de la vie.» C’est sur elle que l’Omniprésent a crée son trône nous dit le Coran.
Connaitre le secret de l’eau, serait selon Sitt Ayam une mystique irakienne de 13eme siècle, c’est “connaitre le secret de l’essence divine”.
Dans le jardin musulman, l’eau est un mince filet qui coule entre les bosquets, à l’abri des ardeurs du soleil qui pourrait l’assécher.
L’économie de l’eau fut au centre des préoccupations des hydrauliciens andalous et nous devons à Ibn Awwan la première réflexion sur la technique du goutte à goutte.
La prodigalité des jardins, dit-on, n’a d’égale que l’avarice, doublée de crainte du jardinier andalou pour l’eau. Elle n’est pas fortuite, Massignon nous éclaire sur ce problème et nous dit «que c’est peut être parce qu’il sait que si l’eau venait à manquer, l’oasis se transformerait en désert.»
Cette eau qui coule, apaise l’esprit tourmenté et guide le rêveur dans des allées si étroites qu’à peine si deux personnes peuvent y marcher de front.
Dans le “Generalife”, le sultan, simple créature, entrait seul et sans couronne. Ce sens, en quelque sorte, spirituel, sépare le jardin musulman du parc purement profane que le Roi Soleil a hérité des Medicis et qu’il construisit pour sa propre gloire.
Dans les jardins de l’Islam, la magnificence du lieu est volontairement éclipsée par la beauté de la végétation qui l’entoure. A Djanatu al Arif, la luxuriance de la végétation n’est pas encore tout à fait présente. En cette fin d’automne, les treilles ne sont pas encore couvertes de fleurs et de fruits. Les senteurs du jasmin et de la rose se font encore désirées.
L’eau trop précieuse ne coule pas dans des canaux sous les bosquets mais jaillit des asperseurs, peut être à une heure fixe. Djanatu al Arif n’a certainement pas la prétention d’être le joyau d’une couronne, encore moins un trône, mais seulement une invitation à revitaliser le mythe de «Bilad al Andalous», cette société multiraciale et multiculturelle ou le pouvoir n’était pas synonyme de tyrannie ou les régnants surent exercer leur pouvoir de manière si suave que gouverneurs et gouvernés en firent un paradis.
Djanatu al Arif est un lieu à voir mais pas comme un touriste qui traine ses pieds derrière un guide. Djanatu al Arif est un lieu pour méditer sur l’avenir d’une civilisation prise dans la tourmente du … village planétaire.